Dans le massacre de Charlie Hebdo, il convient de distinguer plusieurs aspects :

Il y a d’abord le drame humain : 12 morts ! Un bilan terrible, un drame atroce, une tragédie, une cruauté inacceptable des assassins qui doit révulser tout être humain.

Il y a ensuite l’atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de penser, tout aussi inacceptable, tout aussi condamnable et qui doit nous interpeller tous sur cette valeur fondamentale qui n’a jamais été aussi menacée, par cette action barbare bien sûr, mais aussi par celle des gouvernements (voir la récente loi autorisant le flicage d’internet). Car prenons garde : à Paris, de plus en plus, notamment dans les sphères gouvernementales, curieusement cet attentat est qualifié de « 11 Septembre français » (« Une » du Monde du 9.1.2015)! Or, on est tout de même loin des 3000 morts, 2992 très exactement, de l’attentat du World Trade Center. Attention donc à cet amalgame et rappelons-nous que le gouvernement Bush profita de l’émotion et du traumatisme causés par cet attentat chez les Américains pour faire adopter toutes les lois liberticides, permettre l’usage de la torture et mener sa guerre en Irak et celles qui suivirent.

Jean d’Ormesson a donné le ton : « La guerre est parmi nous ! », s’est-il emballé dans Le Figaro (9.1.2015). De son côté, le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, a parlé de reprendre la guerre en Libye pour réduire les bases-arrières du terrorisme. Petit à petit, les discours sécuritaires reprennent et l’esprit de guerre s’installe. Déjà on parle des « ennemis de l’intérieur » (dixit Manuel Valls), de 5e colonne ! Et demain, la lutte contre « les ennemis de l’intérieur », ne va-t-elle pas servir à justifier la restriction voire la destruction de nos libertés ?

Sachons raison garder

Ne faisons pas de Charlie Hebdo la quintessence de la culture, le porte-drapeau des valeurs humanistes, le fer de lance de la civilisation, le repaire de la spiritualité, le cénacle de la tolérance et de l’amour de l’autre, le dernier bastion de la défense des valeurs républicaines et de la résistance à la barbarie… non !

Je suis désolé, mais moi, en tant qu’Alsacien conscient, défenseur du respect des minorités, du droit à la différence et de l’émancipation des peuples, je ne suis pas et ne serai jamais Charlie. Tout simplement parce que j’ai aussi une mémoire et que je me rappelle que ce journal jacobin n’avait de cesse de brocarder nos cultures régionales, nos langues, notre différence jusqu’à tomber dans les travers d’un racisme primaire et parfois de l’islamophobie. Il en a certes le droit, comme il a le droit au blasphème, personne ne peut et ne doit le lui contester : la liberté d’expression est sacrée !!! Mais au moins reconnaissons que Charlie n’est pas un modèle de tolérance et de respect des autres.

L’Alsace vue par Charlie

Voici quelques exemples concernant les Alsaciens. Dans son édition du 25.10.1995, à l’occasion d’un reportage sur une fête à Obernai, le journaliste de Charlie, Philippe Val, s’essaie au périlleux exercice d’une analyse anthropologique :

« Tout le monde est trop gros, trop gras (…) Tu peux leur faire jouer de la musique la plus subtile, la plus tendre : dzim boum boum. Une deux ; une deux. Ni gai ni triste : cadencé pour gros-cul. L’orchestre attaque un slow de trois tonnes (…) C’est dans ce vide intellectuel (sic) que s’engouffrent les idées d’extrême droite. C’était la fin de l’année, l’apogée de la vie culturelle (…) Celui-là nous casse les oreilles avec ses chants en alsacien ». Le clou sera pour la fin. Pour expliquer ce qui engendrerait le vote frontiste en Alsace, Charlie-Val donne cette explication : « C’est la peur de ne plus pouvoir s’engraisser comme on s’engraisse tranquillement depuis des générations » !

Et, trois ans plus tard, dans son n° du 7.10.1998, Charlie Hebdo publiera encore un long article titré « A bas tous les patois » où le journal s’en prenait à la charte européenne des langues régionales à laquelle la France venait d’adhérer. Quel courage y a-t-il à s’attaquer aux langues régionales ? Aux identités régionales ? Est-ce que ce sont elles qui détiennent le pouvoir en France ?

Pour illustrer le cas de la langue alsacienne, Charlie publiera le dessin suivant :

Charlie Hebdo

Huguette Dreikaus fustigea alors « ce racisme de l’extrême gauche » et Roger Siffer s’insurgea contre ces méthodes de l’extrême gauche qui rejoignent celles de l’extrême droite et dénonça « les propos révisionnistes » et les « phrases dignes du dernier discours de Schönhuber ». Quant au député PS Armand Jung, il suggéra aux associations d’anciens combattants de porter plainte et se constituer partie civile contre Charlie Hebdo.

Alors associons-nous au deuil des familles des défunts, affirmons haut et fort notre indéfectible attachement à la liberté d’expression, au droit à la satire quelle qu’elle soit, jusqu’aux excès, mais ne tombons pas dans cette hystérie collective engendrée par l’émotion orchestrée par certains médias et aussi le gouvernement dont les motivations sont également politiques : faire oublier un temps l’échec de sa politique que marque la rétrogradation, il y a quelques jours, de la France à la 6e place dans le monde pour son PIB. Alors, gardons les yeux ouverts avec le calme, la dignité et la sérénité qu’un tel moment de compassion doit nous inspirer.